New York — Parfois le messager est aussi important que le message lui-même. La publication, mardi, d’un rapport sur les conséquences du réchauffement climatique sur l’économie américaine constitue de ce point de vue une rupture.
Ses commanditaires ne sont ni des organisations environnementales ni des scientifiques, mais trois figures du monde des affaires. Il s’agit d’Henry Paulson, l’ancien secrétaire du Trésor de George W. Bush et ex-patron de la banque d’affaires Goldman Sachs, de Tom Steyer, l’un des principaux bailleurs de fonds du Parti démocrate et qui fut à la tête d’un fonds spéculatif, et de Michael Bloomberg, patron du groupe d’informations financières homonyme et maire de New York de 2002 à 2013. L’initiative mérite d’autant plus d’être soulignée qu’elle rassemble les sensibilités démocrate et républicaine, alors que les deux partis ont encore aujourd’hui des positions antagonistes sur l’environnement.
Le rapport, intitulé « Risky Business » — du nom du film qui a lancé Tom Cruise en 1983 — s’appuie sur les travaux du groupe Rhodium, un cabinet spécialisé en recherche économique, et sur les projections réalisées par Risk Management Solutions, une société spécialisée dans la modélisation des catastrophes, qui travaille en particulier avec les grands assureurs. Les conclusions ne s’adressent pas au coeur des Américains, mais à leur portefeuille, seule façon, selon les auteurs, d’impliquer les entreprises dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Les risques sont plus pervers et cruels que ceux que nous avons vus avec la crise financière, car ils s’accumulent au fil du temps », alerte M. Paulson.
Ainsi, les propriétés et les entreprises situées sur les côtes, où vivent 40 % de la population américaine, seront de plus en plus nombreuses à se retrouver sous les eaux. D’ici à 2050, ce patrimoine économique et financier menacé de disparaître est estimé entre 66 et 106 milliards de dollars. D’ici à la fin du siècle, le rapport parle de sommes pouvant aller de 238 à 507 milliards.
Le sud-est des États-Unis sera affecté par la montée du niveau de la mer mais aussi par la hausse des températures. Aujourd’hui, il fait plus de 35 degrés dans cette zone huit jours par an en moyenne ; cela devrait arriver, selon le rapport, entre 17 et 52 jours par an au milieu du siècle et atteindre quatre mois à l’horizon 2100. Cette évolution pourrait entraîner de 11 000 à 36 000 décès supplémentaires par an.
À l’échelle du pays, cette hausse des températures devrait provoquer une chute de 3 % de la productivité des domaines d’activité de plein air comme le secteur de la construction. Les conséquences sur l’agriculture seront aussi importantes. Les rendements dans le Midwest pourraient décliner de 19 % d’ici à 2050 et de 63 % d’ici à la fin du siècle. Sans adaptation majeure, la production agricole nationale (maïs, soja, blé et coton) pourrait baisser de 4 % vers 2050 et jusqu’à 42 % en fin de siècle.
Le Sud-Ouest américain, lui, devrait connaître de plus en plus de sécheresses et d’incendies du fait de l’augmentation du nombre de jours à plus de 35 degrés.
Les messagers de cette apocalypse ne sont pas des novices en matière de problématique environnementale, même si la vocation leur est venue sur le tard. M. Bloomberg avait pris une série d’initiatives lorsqu’il était maire de New York. Depuis qu’il a quitté son poste, il a d’ailleurs été nommé émissaire des Nations unies pour les villes et le changement climatique.
La conversion de M. Steyer est plus spectaculaire. L’ex-patron du hedge fund Farallon a bâti une partie de sa fortune, évaluée à 1,4 milliard de dollars, en spéculant, notamment, sur des sociétés pétrolières. Ce n’est qu’à la fin des années 2000 qu’il s’est transformé en défenseur de l’environnement avant d’abandonner la direction de son fonds spéculatif. Grâce à sa fortune, M. Steyer est aujourd’hui à la tête de NextGen Climate, un groupe de pression en faveur de l’environnement impliqué dans plusieurs élections de mi-mandat, qui auront lieu à l’automne. Il est aussi l’un des plus farouches opposants au projet de construction de l’oléoduc Keystone, qui doit relier le Canada au golfe du Mexique, et a prévenu qu’il ne soutiendrait pas financièrement les candidats démocrates favorables au projet.
Risky Business s’est aussi doté d’un comité des risques, dans lequel on retrouve George Shultz, secrétaire au Trésor sous Richard Nixon, et Robert Rubin, secrétaire au Trésor sous Bill Clinton.
Moins attendue, la présence de Gregory Page, le patron de Cargill, le géant du négoce de matières premières agricoles, qui est aussi l’un des principaux donateurs du Parti républicain. Il a expliqué qu’il avait accepté de participer à cette initiative parce que le rapport ne prône pas de solutions, ce qui pourrait attiser les divergences partisanes, mais aussi parce que son contenu révèle« l’effort de très bons scientifiques pour évaluer les impacts potentiels et un éventail de résultats [du changement climatique] ».
C’est peut-être là la limite de l’exercice : faire un constat est une chose, se mettre d’accord sur les solutions pour les prévenir en est une autre. « Nous n’avons pas une minute à perdre », a néanmoins prévenu M. Bloomberg. « La bonne nouvelle, c’est que si nous agissons immédiatement, nous pouvons éviter le pire », a renchéri M. Paulson. La mauvaise, c’est que trouver un consensus au sein des lobbies économiques pour agir concrètement demandera beaucoup de temps.
Sources: Le Devoir
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