Des documents audio gardés secrets ont été dévoilés ce vendredi aux Etats-Unis lors de l'émission de radio "This American Life". Ils avaient été recueillis un an plus tôt par le site de journalisme d'investigation "ProPublica". Ces enregistrements mettent au grand jour les possibles connivences entre la New York Federal Reserve Bank, la Fed, et les institutions financières qu'elle est censée surveiller et contrôler. "Si ces documents étaient authentifiés, cela voudrait dire que le contrôleur était complaisant avec les contrôlés. En clair que la Fed ne faisait pas le travail qui lui était assigné en manifestant une trop grande complaisance envers les organismes qu'elle est censée contrôler" explique Antoine Brunet, économiste et président de la société d'analyse de la conjoncture et des marchés AB Marchés.
Michael Lewis, journaliste américain spécialiste de la finance, qualifie ces enregistrements "d'extraordinaires" dans un article publié sur le site Bloomberg View. Après avoir couvert la crise financière de 2008 aux Etats-Unis, le reporter a déclaré, une fois avoir écouté les bandes sonores : "l'équivalent de la vidéo de Ray Rice (joueur de football américain suspendu après la diffusion d'une vidéo le montrant en train d'agresser sa femme, ndlr) dans le secteur financier vient d'arriver".
Et c'est peu dire. Au total, quarante-six heures de conversations ont été enregistrées secrètement en 2012 par Carmen Segarra, une ancienne employée de la Réserve fédérale de New York, en charge de superviser la puissante banque d'affaires Goldman Sachs. Les bandes sonores révèlent que certains de ses collègues ont agi selon le bon vouloir de la banque. D'après ProPublica, ils en disent long sur "la tradition de déférence du plus grand régulateur de Wall Street vis-à-vis des banques".
Deux points de litige émergent des conversations que cette ancienne avocate a captées à l'insu de ses collègues. Le premier concerne une transaction entre Goldman Sachs et la banque espagnole Banco Santander.
D'après les documents, la Fed n'a pas réussi à réglementer les banques, car elle n'encourageait pas ses employés à signaler des problèmes ou à poser des questions. Bien au contraire : les employés ne sont pas parvenus à convenablement surveiller ces puissantes banques, non pas parce qu'ils n'avaient pas les outils à leur disposition, mais parce qu'ils ont été dissuadés de les utiliser.
Carmen Segarra avait été engagée par la Fed en octobre 2011 afin d'aider la banque à améliorer son système de surveillance. Dès son premier jour de travail, on lui a assigné la tâche d'observer Goldman Sachs. Au cours d'un certain nombre de réunions, elle apprend que les employés de la Fed avaient pour objectif de minimiser ou même d'ignorer les propos alarmants tenus par des employés de Goldman Sachs.
Une fois, raconte-elle, un employé de la banque avait déclaré : "pour nos riches clients, certaines lois de protection des consommateurs ne s'appliquent pas ". Choquée, Carmen Segarra avait fait part de sa surprise à un de ses collègues, qui lui avait répondu : "Tu n'as rien entendu".
Un scandale en puissance qui fait dire à Michael Lewis, sur Bloomberg View : "Vous deviniez déjà confusément que les régulateurs étaient plus ou moins contrôlés par les banques. Maintenant, vous le savez. Et la raison pour laquelle vous le savez est qu’une femme a été assez courageuse pour combattre le système" écrit-il sur Bloomberg. Ces révélations sont d'autant plus importantes que, comme le souligne l'économiste Antoine Brunet, "jusque-là, dans les grands noms de la finance américaine, Goldman Sachs est certainement la banque qui a le mieux traversé tous les évènements depuis 2007. Elle n'avait encore jamais été impacté ni par la crise, ni après celle-ci'. Ce n'est donc plus le cas.
D'autant plus qu'un autre point litigieux a été mis au jour par ces enregistrements, Carmen Segarra estime que Goldman Sachs n'a pas de garde-fou interne visant à éviter de possibles conflits d'intérêt, contrevenant ainsi aux règles de régulation bancaire. Mais, comme le prouve les enregistrements, alors qu'elle en averti sa direction, son manager, plutôt que d'en prendre note, lui conseille de "réfléchir un peu plus sur le choix de ses mots" lorsqu'elle lui explique que Goldman Sachs contrevient aux règles de la régulation.
Selon Carmen Segarra, sa volonté de bien faire son travail lui a valu d'être renvoyée en mai 2012. En effet, alors qu'elle a tenté coûte que coûte de convaincre Goldman Sachs de respecter les règles de la régulation bancaire, elle a été licenciée. Elle a, depuis, saisi les tribunaux pour obtenir réparation mais sa demande a été rejetée en avril dernier.
De son côté, la Fed, comme le relaie le site This American Life, s'est défendue de toute irrégularité. "La Fed de New York dément catégoriquement les allégations faites concernant l'intégrité de sa supervision des institutions financières", a-t-elle déclaré dans un communiqué. La banque centrale américaine a aussi affirmé que le licenciement de Carmen Segarra était "entièrement lié à ses performances". Une défense somme toute logique pour Antoine Brunet car si la Banque centrale était amenée à dire autre chose "elle perdrait en crédibilité". "Si la source est vérifiée et si la teneur des documents est bien celle retranscrite, cela voudrait dire que la Fed a échoué dans la mission qui lui était confiée et peut-être même qu'elle avait une complaisance excessive à l'égard des institutions qu'elle devait contrôler" poursuit l'économiste.
Suite à la diffusion de ces enregistrements secrets, un membre influent du Sénat américain, Elizabeth Warren, a voulu engager des auditions sur les questions "perturbantes" soulevées par ces conversations entre des responsables de la banque et des contrôleurs de la Fed. Et d'affirmer : "Quand les régulateurs sont davantage préoccupés d'éviter aux grandes banques d'avoir à rendre des comptes que de protéger le peuple américain des comportements risqués et illégaux à Wall Street, c'est une menace pour toute notre économie".
Une menace confirmée par Antoine Brunet : "Si les grands organismes bancaires américains, considérés comme too big to fail, sont trop gros pour qu'on les laisse faire leur vie, si les dirigeants des grands organismes financiers américains savent que le contrôleur n'exercera pas son contrôle jusqu'au bout et savent qu'ils seront impunis en cas d'infraction à la réglementation, cela donne à ses dirigeants une impunité excessive. Une impunité qui ne peut que les encourager à des pratiques néfastes pour l'économie américaine dans son ensemble".
Source: Atlantico
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