Par Myret Zaki, le 29 février 2012
Bruits de bottes américaines aux portes de la Syrie et de l’Iran; sanctions occidentales contre l’Iran; menaces iraniennes de blocus du détroit d’Ormuz; flambée du pétrole à 125 dollars le brent; embargo occidental contre la Syrie; soutien ouvert des Russes et Chinois à Damas et à Téhéran. Pas de doute, les conditions sont réunies pour une troisième guerre mondiale, dans une région abritant 54% des réserves de pétrole. Et le conflit a, peut-être, déjà commencé. Le survol de la Syrie et de l’Iran par des drones américains (lire l’encadré p.38), le refus iranien d’une inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) le 22 février, l’attentat manqué prêté à l’Iran contre l’Ambassade israélienne à Bangkok, la détermination de Tel-Aviv à bombarder les installations iraniennes (dès juillet, selon des médias israéliens) pour maintenir son exception nucléaire dans la région, les menaces iraniennes, le 21 février, d’une attaque préventive contre Israël, sont autant d’actes potentiels de guerre.
Dans le camp occidental, il s’agit d’abord d’intervenir contre Damas, puis dans un second temps contre Téhéran. Cette fois cependant, Washington peine à mobiliser l’opinion publique mondiale: les conditions ne sont pas réunies pour un «Irak II». D’une part, les mensonges américains concernant l’existence d’armes de destruction massive en Irak sont encore présents dans les mémoires. Les médias sont-ils aussi manipulés sur la question du nucléaire iranien? Il convient d’entendre au moins les différents sons de cloche. Comme celui de Clinton Bastin, ancien responsable des programmes de production nucléaire américains, qui a tenté en vain d’alerter les autorités et les médias: «Les allégations américaines sont fausses, déclare-t-il au magazine 21st Century Science & Technology fin 2011. L’Iran a une centrale nucléaire, mais n’a pas l’arme nucléaire. Il lui faudrait dix à quinze ans pour l’acquérir. Et même alors, Israël dispose de 400 armes nucléaires, testées et prêtes à l’emploi. Téhéran serait idiot de poursuivre cette voie.» Selon cet expert, le réacteur iranien utilise 20% d’uranium enrichi. Pour devenir une arme, il faudrait qu’il en utilise 90%, ce qui sera très difficile à réaliser; ensuite, il faudrait encore convertir le gaz en métal, technologie complexe et à très haut risque, dont l’Iran ne dispose pas aujourd’hui, et dont l’activité serait immédiatement détectée par l’AIEA. «Les inspecteurs de cette agence, estime Clinton Bastin, sont incompétents en matière de production d’armes nucléaires. Les plans qu’ils ont vus en Iran ne sont pas authentiques, ils ont été entièrement fabriqués par des dissidents iraniens», estime-t-il.
Puissance L’Iran, fait mal mesuré en Occident, jouit d’une forte popularité dans le monde arabe.
Soupçonnant les Etats-Unis de viser en réalité le contrôle des hydrocarbures de la région, la Russie et la Chine font barrage, ouvertement cette fois, aux ambitions américaines. Face à de tels adversaires, Israël «n’attaquera pas de façon unilatérale l’Iran», estime Jubin Goodarzi, professeur de relations internationales à la Webster University de Genève, dont les récents travaux ont porté sur l’alliance irano-syrienne. «Israël veut plutôt forcer la main aux Etats-Unis, en déclenchant une série d’événements qui laisseraient Washington sans autre option que d’entrer en guerre. Par exemple, le 11 janvier, le quatrième scientifique iranien était assassiné». Selon l’expert, l’idée est d’amener l’Iran à répliquer en menant une action contre Israël ou les Etats-Unis. Lorsque l’Etat juif avait attaqué l’Irak en 1981, et la Syrie en 2007, il n’avait pas annoncé ses intentions à l’avance. Pour Jubin Goodarzi, l’étincelle qui allumerait le feu aux poudres viendrait davantage de l’Iran que de la Syrie, où la probabilité d’une intervention américaine est faible, car elle entraînerait l’implication des Russes et/ou des Chinois. «La Russie pourrait utiliser la force militaire pour défendre l’Iran et la Syrie, est allé jusqu’à dire le colonel Leonid Ivashov, ancien membre de l’état-major russe, à la télévision Russia Today le 1er février. Une attaque contre la Syrie ou l’Iran est une attaque indirecte contre la Russie.»
Simple intimidation? Pas si l’on détecte les accents chavéziens dans le discours de Vladimir Poutine qui, s’apprêtant à reconquérir la présidence le 4 mars, a mis en garde le 23 février l’Occident contre son soutien à l’opposition russe. Le 20 février, il avait promis un réarmement «sans précédent» du pays, suite au déploiement du bouclier antimissile en Europe par les Etats-Unis et l’OTAN. La Russie a conçu et fabriqué le premier réacteur nucléaire iranien. Moscou est le principal fournisseur à l’Iran de barres de combustibles nucléaires et perçoit la campagne occidentale contre un Iran nucléaire comme une menace pour ses affaires. La Chine aussi défend ses intérêts dans la région, étroitement liés aux hydrocarbures, désapprouvant toute ingérence étrangère contre Damas et Téhéran. A la rhétorique du camp occidental, qui dépeint l’armée syrienne comme responsable de l’essentiel de 7500 morts depuis le début de l’insurrection pour légitimer sa future intervention, les Chinois répliquent en suggérant, par voie médiatique, que des «forces extérieures arment, encadrent, soutiennent, financent» les rebelles armés en Syrie, dans une véritable entreprise de déstabilisation du pays. «Une chose est certaine: l’opposition syrienne authentique est défavorable à toute intervention occidentale, ce qui m’a été personnellement confirmé par trois leaders de l’opposition syrienne, Michel Kilo, Samir Aïta et Haitham Manaa», témoigne Nabil Zaki, analyste politique et porte-parole de l’opposition de gauche (Parti du rassemblement) en Egypte (et père de l’auteur de cet article, ndlr). Justifier l’ingérence est toutefois stratégique pour les Etats-Unis, «car la neutralisation de la Syrie et du Hezbollah est le préalable à toute opération contre l’Iran», poursuit cet observateur. L’Iran – deuxième producteur de l’OPEP après l’Arabie saoudite – menace permanente pour Israël, puissance régionale influente, «a toujours eu l’ambition d’étendre son contrôle à travers la création d’un «croissant chiite», rappelle Taimoor Aliassi, représentant auprès de l’ONU de l’Association pour les droits humains au Kurdistan iranien. L’Iran cherche, depuis l’arrivée des ayatollahs, à exporter la révolution islamique partout où se trouvent des minorités ou majorités chiites: Liban, Syrie, Irak, Koweït, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, et jusqu’au Yémen.» Avec un Yémen chiite, l’Arabie saoudite (sunnite et alliée des Etats-Unis) serait encerclée. Pour autant, Taimoor Aliassi n’est en rien favorable à une intervention étrangère: «Il faut un changement de régime en Iran, mais pour ce faire, il faut soutenir le mouvement national iranien», prône-t-il.
Israël veille Tel-Aviv veut bombarder les installations nucléaires iraniennes.
Les sanctions pétrolières se sont accompagnées de sanctions financières, les Etats-Unis et l’Europe cherchant à interrompre tout investissement dans le secteur pétrolier et gazier du pays, y compris dans le raffinage, et mettant les banques et assurances iraniennes sur liste noire. Washington espère que cette guerre économique suffira à faire plier le régime. Resserrant encore l’étau financier, le système de paiements internationaux SWIFT, basé à Bruxelles et contrôlé par les banques centrales du G10, s’est dit prêt le 17 février à exclure les institutions financières iraniennes. Les banques iraniennes ne pourront donc plus faire de transactions avec le reste du monde. Cette même plate-forme SWIFT fut au centre d’un scandale d’espionnage américain dévoilé en 2006. Dès 2002, le Trésor et la CIA, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, avaient pioché des données bancaires confidentielles sur SWIFT, au mépris des règles internationales. «Pour l’Iran, c’est la mort par exclusion des circuits informatiques financiers, écrit Pierre Jovanovic, chroniqueur financier, animateur radio à Paris et auteur du best-seller Blythe Masters. Et c’est une première. Même pendant les deux guerres mondiales, aucun des pays en guerre n’a été exclu du circuit financier, pas même l’Allemagne.»
En d’autres temps, l’Iran aurait été isolé, asphyxié économiquement. Mais en ce début de millénaire, des puissances clés ne jouent pas le jeu des sanctions. Téhéran, qui exporte 70% de son brut vers l’Asie, peut compter sur la poursuite de ses exportations vers la Chine, principal consommateur de brut iranien, même si les raffineurs chinois en profitent pour négocier des prix bradés. L’Inde, qui respecte les sanctions décrétées par l’ONU, a refusé d’y ajouter celles financières imposées par les Etats-Unis et l’UE. New Delhi maintient les échanges commerciaux, et contourne le dollar en permettant à ses exportateurs de facturer en roupies indiennes leurs marchandises à l’Iran. De sorte que la puissance de l’Iran, pays presque trois fois plus peuplé que l’Irak, suscite des craintes autrement plus grandes à Washington. Zbigniew Brzezinski, l’idéologue du Nouvel Ordre mondial, qui a conseillé Carter, Clinton, et à présent Obama, met en garde contre un «désastre géopolitique» pour les Etats-Unis à court terme s’ils entraient en Iran, et pour Israël à long terme. Sa stratégie préférée: la «manipulation intelligente». «Nous avons négocié avec Mao Tsé-toung, avec Staline, alors pourquoi pas avec Ahmadinejad?, dit l’influent stratège. Si on nous chasse de la région, quelle chance de survie aurait Israël au-delà de 5-10 ans?» L’administration Obama chercherait en vain à dissuader Israël de la voie militaire. «Israël a la capacité d’attaquer l’Iran et de retarder ses plans de deux ans, tout au plus. Mais certaines cibles nucléaires sont probablement hors de portée des Israéliens», a déclaré à CNN le général Martin Dempsey, chef des états-majors américains. Toutefois, les élections américaines de novembre, si elles devaient porter l’un des deux faucons républicains au pouvoir (Mitt Romney ou Newt Gingrich), pourraient compromettre une issue pacifique.
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