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lundi 15 avril 2013

Gaël Giraud, économiste, analyse la crise actuelle et la façon dont la finance a dévoyé l’économie - Mars 2013


Gaël Giraud, économiste, analyse dans "Illusions financières" la crise actuelle et la façon dont la finance a dévoyé l'économie, notamment européenne.
Ci dessous, Gaël Giraud, ancien trader devenu jésuite, met les banques en accusations :
« Etre chrétien, c’est refuser la fatalité », écrit Gaël Giraud en page 171 d’Illusion financière, un livre qui analyse brillamment l’impasse économique dans laquelle la crisefinancière a plongé les Etats européens, et propose des solutions pour en sortir. A l’écouter parler avec douceur, dans la bibliothèque de la communauté du collège des jésuites de Franklin à laquelle il appartient, il est difficile d’imaginer Gaël Giraud à l’avant-garde de la lutte contre les dérives de la finance.
A tort, cet ancien consultant scientifique dans des banques d’investissement, aujourd’hui économiste, chercheur au CNRS et membre du Centre d’économie de la Sorbonne insupporte Bercy et les banquiers par ses prises de position tranchées et argumentées. Il n’hésite pas à appeler un chat un chat et le ministre de l’Economie« un menteur » quand ce dernier présente un projet de loi de « séparation des activités bancaires » qui ne sépare rien du tout.
Vous défendez l’idée que la crise européenne n’est pas une crise des finances publiques, mais une crise de la finance dérégulée.
En 2008, les Etats européens sont intervenus massivement pour sauver certaines de leurs banques mises en quasi-faillite au cours de la crise des crédits subprime. Celle-ci, rappelons-le, avait été provoquée par l’irresponsabilité du secteur financier. Or, à l’exception de laGrèce, c’est du sauvetage de ces banques et non d’un soudain dérapage des finances publiques que provient l’essentiel du problème de la dette publique européenne. L’Irlande illustre à merveille ce processus : en 2010, la quasi-totalité de son secteur bancaire fait faillite. Son gouvernement décide, sans consulter ses citoyens, de prendre à son compte l’essentiel des dettes bancaires. Résultat, en un an, sa dette publique est passée de 25 % à 100 % de son PIB.
Vous critiquez sévèrement les politiques d’austérité budgétaire imposées à l’Europe du Sud…
Ces politiques ne permettent pas de réduire la dette publique. Au contraire, elles l’accroissent dans la mesure où, en provoquant la récession, elles contraignent les Etats à emprunter à un taux réel supérieur à leur croissance, ce qui accroît mécaniquement les déficits. Ces plans de restriction budgétaire imposés par la « troïka » (FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne) sont voués à l’échec. Peut-être ne sont-ils que des alibis pour imposer un programme néolibéral de démantèlement de l’Etat providence ?
Pourquoi n’êtes-vous pas non plus favorable à une politique de relance budgétaire de type keynésienne, et prônez-vous le lancement d’une « transition écologique » ?
Une relance keynésienne « naïve » ne ferait qu’accroître le déficit de notre balance commerciale. La transition écologique permettrait à nos sociétés d’évoluer d’une économie centrée sur la consommation d’énergies fossiles (dont l’un des sous-produits est une émission massive de gaz à effet de serre) vers une économie de moins en moins énergivore et polluante. Elle est probablement aux décennies à venir ce que fut l’invention de l’imprimerie au XVe siècle ou la révolution industrielle aux XVIIIe et XIXe siècles. Cette transition est impérative sur le plan du réchauffement climatique et nous offrirait la possibilité de desserrer la contrainte énergétique, qui nous coûte 70 milliards d’euros par an. Poursuivre notre modèle de croissance carbonée est le plus sûr moyen de provoquer un désastre humanitaire dès la fin de ce siècle.
Qu’entendez-vous par « transition écologique » ? 
Elle concerne trois grands chantiers. La rénovation thermique du bâtiment, destinée à diminuer drastiquement la consommation d’énergie par nos maisons et immeubles, premier gouffre à énergie de nos économies. Le gouvernement s’apprête à lancer un plan dans ce sens mais les investissements prévus sont très insuffisants. Il manque au minimum un zéro dans le financement prévu. Le chantier suivant touche à la deuxième source de consommation d’énergies fossiles : la mobilité (avion, voiture, train…). Un comité d’experts pour le débat national sur la transition écologique, dont je fais partie, réfléchit aux grandes orientations stratégiques dans ce domaine et devrait rendre son rapport en septembre avec une proposition de projet de loi. Toute la question sera de savoir si ses conclusions seront écoutées par le gouvernement, et si Bercy ne les bloquera pas en amont. Le troisième chantier, c’est celui de la transformation de nos modes de production d’énergie : s’il n’est pas question de fermer toutes les centrales à charbon, il faut absolument y séquestrer le CO2, et produire et investir dans des sources d’énergie décarbonées.
Combien d’emplois pourrait créer cette transition écologique, et que coûterait-elle ?
La Commission européenne chiffre à six millions le nombre d’emplois qui pourraient être créés dans la zone euro, ce qui veut dire au minimum un million pour la France. Différents organismes ont évalué son coût entre 50 et 100 milliards par an. La Fondation Nicolas Hulot avance le chiffre raisonnable de 60 milliards par an, soit 600 milliards pour une décennie. Ce chiffre peut sembler énorme, mais il n’a rien d’extravagant quand on se rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a généré 1 000 milliards d’euros entre décembre 2011 et février 2012 pour « sauver les banques ».
Pourquoi êtes-vous si critique à l’égard du projet de loi de séparation des banques ?
Ce projet de loi n’est pas ce qu’il prétend être : il ne sépare pas les activités de marché des banques de celles de crédit et de dépôt. Or, la nécessité de ce cloisonnement est essentielle : elle permet d’éviter que des opérations de marché ne mettent en danger les dépôts des citoyens, et restitue aux banques la capacité d’accorder des crédits aux entreprises et aux particuliers. Le projet actuel oblige juste les banques à filialiser une fraction négligeable et non pertinente de leurs activités de marché. De plus, cette filialisation est un leurre : aucun moyen n’a été envisagé pour « sanctuariser » la filiale de la maison mère. Rien dans ce projet de loi ne permet d’éviter un scénario identique à celui de l’assureur American International Group (AIG), mis en faillite en septembre 2008 par une de ses microfiliales parisiennes.
Pourquoi n’y a-t-il eu quasiment aucun débat sur ce sujet, pourtant d’une importance considérable pour tous les citoyens ?
Les Français ont été privés de débat public alors que cinq minutes suffisent pour expliquer la nocivité de ce projet. En réalité, Bercy et les banques n’ont pas voulu de débat. La discussion au Parlement a été expédiée et entièrement orchestrée par le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, dont l’argumentation reposait en partie sur des mensonges. Les quelques amendements tolérés par son administration n’ont rien changé sur le fond. On peut se demander si l’organisation de la discussion publique autour du mariage pour tous n’a pas été un moyen de divertir le débat de la question bancaire ? On a programmé la délibération sur la réforme bancaire le lendemain de la fin des débats parlementaires sur le mariage pour tous, à un moment où l’espace public était saturé par cette question. Les députés n’ont eu ni le temps ni l’énergie de discuter d’un sujet technique et difficile, auquel les Anglais ont, eux, consacré un an de réflexion, et sur lequel ils envisagent d’aller beaucoup plus loin que nous.
Les banques françaises passent leur temps à expliquer que la crise du secteur bancaire n’a rien coûté aux contribuables. Vrai ou faux ?
Complètement faux. Dexia a déjà coûté 12 milliards d’euros aux contribuables franco-belges, et l’Etat français a mis 85 milliards d’euros en garantie pour cette banque. Le sauvetage d’AIG par les contribuables américains en 2008 a permis à la Société générale de récupérer 11,9 milliards de dollars, à BNP-Paribas, 4,9 milliards et au Crédit agricole, 2,3 milliards. Dernier point, en 2008, l’Etat a créé en catastrophe la Société de financement de l’économie française (Sfef) destinée à assurer la liquidité des banques privées hexagonales qui refusaient alors de se prêter entre elles. Cette année-là, la dette de la Sfef a été comptabilisée dans la dette publique française qui a ainsi été alourdie de 13 milliards d’euros.
Les banques françaises sont-elles aussi solides qu’elles le prétendent ?
Il existe une étude fiable sur les cinquante banques les plus sûres du monde. Aucune des quatre grandes banques « universelles » françaises (BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole, BPCE-Natixis) n’y figure. On compte, en revanche, le Crédit mutuel et la Banque postale. Deux exemples de banques qui ont accès au marché financier mais ont su rester raisonnables, et dont le petit nombre d’activités de marché est vraiment orienté vers l’économie réelle. Inversement, selon l’OCDE, nos quatre « grandes banques » font partie des huit banques européennes les plus proches de la faillite.
Des économistes toujours plus nombreux dénoncent les dérives de la finance. Pourtant rien ne change. Est-elle intouchable ?
Non, je ne crois pas. En revanche, le niveau d’aveuglement de la Direction générale du Trésor en France, de la haute fonction publique à Bruxelles et du management des grandes banques internationales est tel qu’il faudra peut-être, malheureusement, en passer par un nouveau grand krach (qui ne manquera pas d’arriver) pour qu’on prenne, enfin, de vraies décisions.
La violence sociale vous semble-t-elle compréhensible, voire légitime face à la violence de la crise ?
Elle est compréhensible, mais je ne peux pas la légitimer. Je la comprends cependant d’autant mieux depuis que j’ai entendu cette phrase de la bouche même d’un député européen : « Tant qu’aucun politique n’aura été liquidé par la foule, on continuera. » Ce que je dis là ne constitue pas un encouragement à prendre le fusil mais à prendre conscience du fait qu’une fraction du pouvoir politique – notamment au niveau européen – est déjà dans un rapport de forces extrêmement violent avec la population. Les mêmes se disent qu’on peut imposer ces ajustements structurels brutaux aux populations du sud de l’Europe tant qu’elles se laissent faire. Le jour où elles se rebelleront, on envisagera autre chose. Il se pourrait cependant que le nouveau président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, avec ses fausses bourdes sur la crise chypriote, tente d’amorcer ce changement (1) .
Votre livre dénonce les banques engagées dans une « logique financière mortifère ». Avez-vous fait l’objet de pressions du milieu bancaire ou de votre hiérarchie ?
Je suis complètement soutenu par l’ordre des Jésuites, auquel j’appartiens, mais j’ai effectivement reçu des pressions. Un très haut responsable de BNP-Paribas est venu m’expliquer que j’avais tort de stigmatiser les banques et que je ferais mieux de me taire. A l’occasion du débat sur la réforme bancaire, j’ai reçu des pressions plus fortes. Je ne peux pas apporter de preuves formelles, mais il est probable que mes mails sont lus et que mon est téléphone sur écoute. La note que j’ai publiée à propos de la séparation des banques sur le site de Terra Nova a aussi déclenché l’ire de Bercy, qui en a demandé le retrait – ce que Terra Nova a courageusement refusé.
(1) Dans un entretien au Financial Times, le 25 mars, Jeroen Dijsselbloem avait en substance expliqué que le secteur financier devrait à l’avenir assumer les risques pris par les banques. Il s’était aussitôt fait « tacler » par la jet-set européenne au motif que ces déclarations faisaient baisser les marchés. Il a dû se rétracter publiquement mais n’en pense manifestement pas moins.
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