Il est inutile de dire que les principaux médias d’information du monde occidental, de sensibilité libérale et avides de bonnes nouvelles, ont relayé la dépêche abondamment. Les plus grands quotidiens et hebdomadaires du monde ont publié des articles à la une clamant la bonne nouvelle. Le titre du New York Timesétait représentatif : « La pauvreté mondiale diminue malgré la récession économique mondiale ». Des titres similaires sont apparus dans les grands médias, et particulièrement dans la presse économique libérale, du Financial Times en passant par The Economist. Ce dernier, avec l’exagération qui le caractérise, a indiqué que « pour la première fois, le nombre de pauvres a diminué dans le monde entier ». Évidement, comme on aurait pu le prévoir, les médias dominants en Espagne ont relayé l’information avec la même allégresse.
Le problème de toute cette mobilisation médiatique, c’est que les données, en ce compris les données de la Banque mondiale elle-même, ne reflètent pas cette réalité. L’étude de la Banque mondiale porte sur l’évolution de la pauvreté extrême durant la période 1981-2008. La dernière année analysée est donc l’année 2008, première année de la récession. En effet, en 2008, la récession avait à peine commencé. On ne peut donc pas conclure de l’étude de la Banque mondiale que la pauvreté a diminué malgré la récession, comme l’ont indiqué la majorité des médias. En réalité, la crise et la récession ont commencé en 2008 et s’intensifient en de nombreuses parties du monde. Pour arriver à la conclusion à laquelle les médias sont parvenus, il aurait fallu que l’étude porte sur les années 2008-2012 et voir si la pauvreté avait baissé durant cette période. La Banque mondiale n’a pas réalisé une telle étude.
Ce qu’a réellement fait la Banque mondiale, c’est une estimation de la baisse de la pauvreté pour la période 2008-2010, estimation basée non pas sur des données réelles mais sur des données calculées selon plusieurs présupposés, dont certains doivent être sérieusement remis en question. Les estimations de la Banque mondiale sont en effet connues pour leur « créativité » conduisant à des estimations et à des projections qui ont une maigre crédibilité dans la communauté scientifique. Les seules données exactes, et non des suppositions, de l’étude de la Banque mondiale terminent en 2008, quand la récession commençait à peine.
De plus le rapport de la Banque mondiale commet une autre erreur qui, comme la précédente, permet de parvenir à une conclusion erronée. On y analyse combien de gens vivent dans le monde avec moins de 1,25 dollars par jour et on quantifie comment ce chiffre a évolué durant la période de 1981-2008. Selon les calculs de l’étude, il y avait 662 millions de personnes en moins qui vivaient dans ces conditions en 2008 qu’en 1981. On en a conclu que la pauvreté avait diminué au niveau mondial. Étant donné que cette période a surtout été libérale, c’est-à-dire que la majorité des pays du monde, sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, ont suivi des politiques néolibérales, cette diminution est présentée comme la preuve du grand succès de telles politiques. On a vu apparaître différents articles de célèbres économistes libéraux (en réalité, néolibéraux) chantant les louanges du néolibéralisme. Mais une telle euphorie ignore quelques faits élémentaires.
Un de ceux-ci est que la majorité de la diminution du pourcentage des personnes qui vivent avec moins de 1,25 dollars par jour se concentre en Chine (et en deuxième position en Inde). Or, la Chine n’a pas suivi les politiques néolibérales dans son processus de développement. Au contraire de la sagesse conventionnelle néolibérale des USA et de l’Union européenne, l’Etat chinois est hautement interventionniste, avec un contrôle total de la banque publique et du crédit, entres autres exemples. En Inde, la situation est similaire. En dehors de ces deux pays, le pourcentage de la population vivant dans l’extrême pauvreté augmente, et non diminue, et en particulier dans les pays qui ont suivi avec plus de docilité les recettes néolibérales.
Quant aux autres pays concernés par la baisse de la pauvreté, comme par exemple le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et d’autres pays de l’Amérique latine, cette diminution de la pauvreté est justement due à la révolte contre les politiques néolibérales. Rompant avec ces dernières, les politiques de ces pays sont davantage interventionnistes et d’orientation redistributive, avec une participation active de l’Etat dans l’activité économique. Comme le montrent les rapports publiés par le « Center for Economic and Policy Research » de Washington, les conséquences du néolibéralisme dans le monde en termes de développement sont négatives. Les taux de croissance économique et de production d’emploi ont été plus importants dans les pays qui ont ignoré les postures néolibérales que dans ceux qui les ont suivies. En effet, un des pays qui a connu la plus grande diminution de la pauvreté est précisément le Venezuela, sous le gouvernement d’Hugo Chavez, diabolisé par les medias de grande diffusion espagnols.
Mais le plus grand problème du rapport de la Banque mondiale est la définition même qu’ils font de la pauvreté extrême, utilisant comme indicateur la consommation de 1,25 dollars US comme le seuil de la pauvreté. Bien sûr, utiliser 1,25 dollars US ne veut pas dire que, dans le monde, sont pauvres ceux qui consomment moins de 1,25 dollar par habitant. Une telle somme, en dollars US, pourrait être une quantité respectable d’argent pour un pays pauvre. Le seuil de la pauvreté extrême ne se situe pas à 1,25 dollar US dans les pays en voie de développement. Le véritable seuil de la pauvreté extrême est plutôt le pouvoir d’achat en monnaie locale dont la valeur est comparable à un pouvoir d’achat de 1,25 dollars aux USA.
Cet indicateur, comme l’ont bien montré Robin Broad et John Cavanagh dans leur livre Development Redefined. How the Market met it Match, est simpliste et extrême. En effet, il ne tient pas compte des biens de consommation qui ne sont pas commercialisés. Par exemple, deux pays peuvent être au seuil de 1,25 dollars par habitant et par jour, et cependant, celui qui a des services publics abondants sera moins pauvre que celui qui ne détient pas de tels services. Le fait est que la Banque mondiale ne valorise pas les services publics, mais bien le secteur privé. De la sorte, un tel indicateur sous-estime délibérément l’effet positif des services publics en matière de réduction de la pauvreté dans un pays.
En résumé, le néolibéralisme est un échec, même si la Banque mondiale et le FMI essaient de le sauver. Il a un impact dévastateur sur la pauvreté et la crise est en train d’accentuer encore plus cette situation. L’Espagne est un exemple édifiant des méfaits du néolibéralisme. La pauvreté s’est accentuée et non réduite. Ecrire le contraire est de la propagande néolibérale, d’autant plus quand on essaie d’occulter cette réalité par des études qui n’ont de scientifique que l’apparence.
Vincenç Navarro, professeur en politique publique à l’université Pompeu Fabra et à The Johns Hopkins University
Source originale : Blogs Publico
Traduit de l’espagnol par Aurélie Meunier pour Investig’Action
Source : Investig’Action – michelcollon.info
Source trouvé:
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire