Cette guerre du pétrole, opposant pays producteurs entre eux, et plus largement pays producteurs et pays consommateurs, a toujours existé. Les producteurs se battent pour vendre le plus cher possible ou plus exactement pour faire les plus grands profits possibles, en adaptant les quantités produites à la demande. Les pays consommateurs s'efforcent de dépenser le moins possible, là encore en adaptant les quantités achetées à l'offre.
Le marché est de type libéral-oligopolistique. Ça veut dire que nulle autorité mondiale ne fixe les cours, mais que les décisions de grands groupes de producteurs, organisés pour mettre en œuvre une politique commune au sein du groupe, peuvent influencer les cours à la hausse ou à la baisse. Aujourd'hui, l'OPEP (Organisation des pays producteurs de pétrole) est le plus organisé de ces oligopoles. L'OPEP regroupe un grand nombre de producteurs [1], mais en fait seuls les plus importants jouent un rôle dans ses décisions, sous l'autorité de fait de l'Arabie saoudite. L'OPEP ne représente au demeurant qu'un tiers de la production mondiale. Deux autres grands producteurs de pétrole (pétrole et gaz) sont apparus depuis quelques années sur le marché : la Russie pour environ 15 % et les États-Unis pour 12 %, avec les gaz et pétroles de schistes (chiffres approximatifs). Ils prennent librement leurs décisions, en principe sans s'accorder avec l'OPEP. Tous les autres producteurs, trop petits pour influencer sensiblement le marché, ne font que s'adapter.
Le cours du pétrole s'effondre...
Depuis quelques mois, le cours du pétrole n'a cessé de baisser, comme le montre le graphique ci-dessus. On attribue généralement cette baisse au ralentissement de l'économie mondiale, y compris chez les pays gros consommateurs comme la Chine. Elle est considérée aussi comme résultant de l'apparition des États-Unis sur le marché, devenus auto-suffisants et marginalement exportateurs, grâce aux gaz et pétroles de schistes. Par ailleurs, les spéculateurs doivent admettre que l'offre potentielle sera de plus en plus importante dans les prochaines années, compte-tenu de la découverte de réserves exploitables dans de nombreux pays non encore exportateurs.
... ce qui, a priori, pénalise les producteurs...
Logiquement, les producteurs devraient s'entendre, comme ils le faisaient jusqu'alors, pour diminuer la production et faire remonter les cours. Mais diminuer la production, dans un premier temps, diminue les revenus des producteurs. Ils devraient donc s'entendre à eux-tous pour se répartir les pertes. Une telle entente, qui est en soi très difficile, est aujourd'hui rendue impossible par les désaccords politiques entre pays producteurs. Disons en simplifiant que les pays de l'OPEP chercheraient apparemment à mettre en difficulté les producteurs concurrents d'Amérique du Nord, dont les coûts de production sont difficilement compressibles. La baisse des cours les pénalise aussi, mais ils disposent de réserves de change en quantité suffisamment importante pour pouvoir supporter quelque temps le manque à gagner.
A l'opposé, la Russie, rejointe par le Venezuela, voudrait provoquer une réduction de la production suffisamment rapide et importante, pour faire remonter les cours. Une telle hausse est indispensable à leur équilibre économique.
Les États-Unis, qui pourraient peser sur l'orientation du marché, ne le font pas pour le moment. Certes, la baisse des cours pénalise leurs producteurs, mais elle a pour eux le grand avantage de pénaliser encore davantage la Russie, contre laquelle ils ont engagé depuis quelques mois ce que l'on nomme une deuxième Guerre froide. Ils n'envisagent donc pas de rejoindre une coalition de pays cherchant à réduire la production globale afin d'améliorer à terme les revenus des pays exportateurs.
... et réjouit les pays consommateurs...
Du côté des pays consommateurs, la baisse des cours est généralement bien accueillie. Elle diminue le coût des carburants fossiles. Elle permet ainsi de relancer, ne fut-ce que marginalement, la production, et donc ce que l'on nomme la croissance. Certaines industries, comme l'automobile, en profiteront nécessairement. Les consommateurs individuels de pétrole et de gaz s'en réjouissent également. Mais les économistes et les climatologues, qui cherchent à voir un peu plus loin que les aléas de la conjoncture économique, considèrent cette baisse comme une véritable catastrophe, d'autant plus catastrophique si elle se prolongeait sur plusieurs années.
... mais plombe l'industrie des énergies de substitution
Il est évident que les efforts tentés, non sans difficultés et obstacles, pour réduire les consommations d'énergie et mettre en place des sources de substitution dite vertes (incluant le nucléaire), se trouvent découragés, sinon rendus impossibles. Le bilan industriel sera donc lourd. En économie libérale de marché, des pans entiers d'industries émergentes seront mis en difficulté, voire conduits à disparaître. Les États, dépourvus dorénavant de moyens d'intervention, ne pourront pas protéger les secteurs et activités d'avenir destinés à diminuer leur dépendance au pétrole.
Inutile d'ajouter que les politiques visant à diminuer la production des gaz à effets de serre seront compromises, sinon découragées. Or, en ce domaine, comme l'ont montré les climatologues, tout retard pris ne se rattrape pas. Ce serait dès maintenant, et non dans l'attente d'une hypothétique remontée des prix du pétrole, qu'il faudrait agir. L'humanité se rapproche de plus en plus du point de non-retour (tipping point), au-delà duquel des dégâts sur l'environnement comme sur les espèces vivantes se développeront sur un mode exponentiel.
Les pays européens non producteurs d'énergie en souffriront nécessairement bien plus que les pays producteurs de pétrole. Dans la compétition mondiale, ces derniers n'y verront que des avantages à court terme. Avec ses ambitions de réduire la consommation d'énergie, l'Europe représente pour eux une ennemie à abattre. Quant aux pays sous-développés, leur sort, dans cette guerre du pétrole, n'intéressera personne...
Un consensus s'avère hors de portée
Peut-on espérer que, face à l'imminence du danger environnemental, producteurs et consommateurs de pétrole s'entendront pour diminuer progressivement la production d'énergies fossiles et reconvertir leurs ressources de trésorerie dans de nouveaux investissements favorables aux économies d'énergie et aux énergies de remplacement. Ce serait évidemment l'idéal, mais une telle entente ne pourrait provenir que d'un consensus mondial, par exemple dans le cadre de l'ONU, pour adopter en commun de telles politiques.
Or de récentes études tendent à montrer que, même face à un péril imminent, des pays et intérêts en compétition refuseront de s'entendre. Chacun exploitera jusqu'au bout le créneau dont il profite, préférant affronter le désastre final, autrement dit un suicide collectif, plutôt que négocier avec des concurrents-adversaires des accords permettant d'atteindre le salut commun.
Si l'anthropologie confirmait ces hypothèses, ainsi pourrait s'expliquer un paradoxe depuis longtemps constaté et regretté :
Pourquoi les humains, si performants dans la gestion du court terme, sont-ils incapables de se projeter dans le long terme, afin d'anticiper les risques et prendre immédiatement des mesures préventives ?
On attribue généralement ce trait à l'incapacité du cerveau humain de se représenter suffisamment clairement des hypothèses concernant l'avenir.
Mais, pour le chercheur Pedro Sekeris, la réponse est beaucoup plus inquiétante. Elle tient au fait que le mécanisme génétique et culturel de la compétition darwinienne, ayant permis l'apparition des sociétés modernes, ne pourra être débranché que par... la catastrophe finale. Le dernier des survivants, avant de disparaître lui-même, se glorifiera d'avoir éliminé tous ses rivaux [2].
Source trouver:
Sott
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