Mercredi, des manifestations contre l’austérité ont eu lieu dans plusieurs pays d’Europe. En Espagne, elles ont dégénéré. Sébastien, 23 ans, étudiant français en Erasmus à Barcelone, a assisté aux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Témoignage et récit d’une journée de protestations entachées de violences policières.
A 18 heures mercredi, j’ai rejoint le cortège plaça de Catalunya, là où était le rassemblement.Dès la première avenue, deux bus de la ville sont mis en plein milieu de la route.L’avenue est immense, ça ne pose donc aucun problème de les contourner mais je suis surpris.
Je demande à mes camarades catalans pourquoi ces bus sont là. Ils me répondent simplement que c’est pour bloquer le cortège. Je leur demande avec grande surprise s’il est interdit de manifester, ici en Espagne ; ils me répondent que non, mais qu’il faut se tenir prêt à courir parce qu’il est déjà arrivé qu’ils utilisent les flashballs dans la foule, que quelqu’un a déjà perdu un œil et qu’au Pays basque espagnol, un enfant d’une dizaine d’années a été tué par un tir de flashball dans la tête.
Nous redescendons ensuite l’avenue Diagonale. L’ambiance est festive, tout se passe bien. Je me détends un peu mais je remarque tout de même que dans chaque rue perpendiculaire, il y a les forces spéciales avec leurs boucliers. Elles sont plutôt loin et restent discrètes.
Nous arrivons au terminus du cortège, au croisement de Carrer del Bruc et Ronda de Sant Pere. Tout le monde range les pancartes et commence a remonter en direction du centre. Il y a un monde fou entre ce croisement et Urquinaona. Les bouches de station de métro étant fermées, on doit marcher.
Quelques minutes plus tard, cinq fourgons se mettent au bout de la rue. Ils y attendent moins de cinq minutes avant de mettre toutes les sirènes en marche. Très impressionnant d’entendre tout ce bruit. Mais ils restent immobiles pendant encore deux minutes. On marche à la vitesse que l’on peut…
Sur la place, ça tire de partout mais surtout sur ceux qui courent pour s’enfuir. Je pense qu’il y a facilement plus d’une bonne centaine de camions.
Les policiers ont un mode opératoire bien huilé : à chaque fois qu’ils voient un groupe, un camion fonce dessus, ils sortent matraques en main et un des leurs a un flashball pour tirer sur ceux qui s’enfuient.
La matraque passe à dix centimètres
Je me retrouve collé contre un mur, complètement traumatisé. Je me dis : « Ne bouge pas, tu ne fais rien de mal. Tu es avec trois filles, il ne nous feront rien. » C’est à ce moment que j’aperçois du coin de l’œil un policier gigantesque qui s’apprête à me donner un coup de matraque dans la cuisse. Un seul réflexe : essayer de l’éviter et courir, avec la peur de me faire tirer dessus. La matraque passe à dix centimètres de ma jambe et frappe le mur. Le bruit est impressionnant.
C’est la panique totale. Certains essayent de trouver refuge sur les marches du métro. Mais les grilles sont fermées : ils se retrouvent bloqués au bas des marches, aucun moyen de sortir de là. Les policiers leur mettent des coups de matraque, sans faire de détail.
Porter une chasuble de journaliste
Je me retrouve seul en plein milieu de la place, j’ai envie de pleurer. Des murs de policiers à chaque coin de rue. J’aperçois mes amis dans la rue ou j’ai failli me faire matraquer ; je cours les rejoindre. Le réceptionniste d’un hôtel nous ouvre les portes. On reste plus de trente minutes dans le hall d’entrée, assistant à l’acharnement policier. Seul moyen de ne pas être pris pour cible : porter une chasuble de journaliste.
Nous finissons par sortir et prenons la direction inverse du centre pour les éviter, parce que les tirs de flashball se poursuivent. Sauf qu’il est impossible de fuir : ils sont partout dans le centre de Barcelone. Ils tirent dans la foule. Ils sont attirés par ceux qui courent, mais on ne peut pas faire autrement que de courir, sinon ils se mettent à plusieurs pour vous matraquer à terre.
Au mieux, ils laissent les gens au sol. Au pire, ils continuent à leur donner des coups de matraque pendant que l’un d’eux traîne la personne jusqu’à à la fourgonnette. J’ai vraiment l’impression qu’ils ont pris pas mal de personnes, mais le gouvernement annonce seulement une vingtaine d’interpellations [l’agence Reuters rapporte plus de 150 arrestations et 70 blessés dans toute l’Espagne pour la journée de mercredi, ndlr].
Ils tiraient dans la foule
On prend les petites rues pour les éviter. A chaque fourgonnette : tête basse, on marche au pas pour ne pas qu’ils nous regardent, on se cache parfois. Il y a des feux de poubelles, au final, détourner l’attention de la police est le seul moyen pour qu’on puisse avoir du répit et quitter cet enfer. Mais les feux ont commencé bien après le début des tirs.
Je ne sais pas quelles sont les dernières infos sur la destruction des vitres du Palais de la musique, juste à côté de là où j’étais, mais il semblerait que les tirs aient commencé bien avant, au moins dix minutes… Alors qu’aux informations, on nous dit que c’est ce qui a motivé les tirs.
Je suis resté plus d’une heure pris au piège ; des touristes se sont retrouvés pris pour cible. Ils attaquaient sans distinction et à l’aveugle, ils tiraient dans la foule alors qu’il y avait des enfants dans les rues à cette heure-là.
Les Catalans sont habitués
Après une nuit d’insomnie, je suis parti en cours dans le centre de la ville avec une boule au ventre, mais aussi l’envie de montrer que cette situation n’était pas normale.
Je suis allé au rassemblement contre les violences policières de mercredi : j’y ai appris beaucoup de choses. Les Catalans sont habitués à ce que ça se passe comme ça. Depuis deux ans, il semblerait que ce soit monnaie courante.
Mercredi, plus de 9 000 balles de plastique ont été tirées dans Barcelone, d’après certaines sources. Une jeune femme a perdu un œil.
Une amie catalane m’a raconté que l’un de ses amis, qui est pompier, a vu une fille se faire matraquer et casser le tibia. Quand la police est partie, il est allé chercher cette fille et l’a ramenée jusqu’au camion de pompier le plus proche. Une fois sur place, alors que la fille commençait à être prise en charge par les pompiers, un camion des forces spéciales est arrivé et à commencé à prendre les pompiers, ce jeune homme et la fille – déjà bien abîmée – pour cible.
Aucune possibilité de se faire entendre
Le ministre de l’Intérieur de la Catalogne, Felip Puig, a confirmé qu’une personne avait été blessée à l’œil. Mais il a osé déclarer :
« De toute la journée, aucune balle en caoutchouc n’a été tirée. »
C’est un mensonge qui est relayé par toute la presse espagnole. En fin de compte, il s’excuse juste pour l’adolescent qui s’est pris un coup de matraque à Tarragone.
Il est de notoriété publique en Espagne que les forces spéciales sont beaucoup plus violentes et agressives ici qu’à Madrid.
Prochaine manifestation : le 22 novembre, juste avant les élections régionales. Ça va encore mal tourner, sans aucun doute. Il faudrait que la presse européenne soit là, parce que l’information est cachée.
Je ne comprends pas comment, dans une démocratie comme l’Espagne, on peut laisser passer. On a le droit de manifester, mais après il faut courir chez soi pour ne pas se faire frapper… C’est scandaleux de voir ce système à l’œuvre en Europe, alors qu’on a eu le prix Nobel de la paix cette année. Les gens sont désespérés, ça se ressent tellement.
Sébastien Carré
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