Puits de forage dans le gisement de Barnett shale, Alvarado, Texas - Etats-Unis
© Greg Barnes
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Ambiguïtés ministérielles, lobbying intensif de l'industrie pétrolière et gazière, appels pressants d'éditorialistes et de chroniqueurs en faveur de leur extraction, multiplication de permis d'exploration, camions sismiques en attente d'autorisation... Alors que s'est terminée la conférence environnementale, les gaz de schiste sont loin d'être définitivement enterrés. Retour sur une bataille qui se joue en coulisse depuis un an.
Il est déjà loin le temps où les leaders socialistes s'opposaient fermement aux gaz de schiste. « Une fausse bonne idée aux risques écologiques démesurés », expliquait il y a un an Arnaud Montebourg. Lors du débat sur la loi du 13 juillet 2011, interdisant la fracturation hydraulique, le futur ministre du Redressement productif, le futur Premier ministre et le futur Président – alors dans l'opposition – ont même signé une proposition de loi « visant à interdire l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, à abroger les permis exclusifs de recherche de mines d'hydrocarbures non conventionnels et à assurer plus de transparence dans le code minier ». C'était avant d'arriver au pouvoir.
Depuis, tout a soudainement changé : « Le débat n'est pas tranché », explique Jean-Marc Ayrault dans Libération le 22 août. « Le 14 septembre va s'ouvrir une conférence environnementale et [...] il faut qu'on mette sur la table les différentes solutions qui pourraient exister et [établir s'il faut ou non] les utiliser ». Arnaud Montebourg s'est également dit prêt à reconsidérer la question, le 11 juillet, à l'occasion d'une réunion de la Conférence nationale de l'industrie. Delphine Batho, devenue ministre de l'Écologie après l'éviction de Nicole Bricq, doit se sentir bien seule. « Je pense que la transition énergétique, ce n'est pas d'aller chercher de nouveaux hydrocarbures », a-t-elle déclaré lors des journées d'été d'Europe écologie – Les verts, à Poitiers, où elle était invitée.
Des permis toujours valides
La loi du 13 juillet 2011, votée sous le gouvernement Fillon, interdit bien « l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche » (Article 1). Mais le texte laisse quelques fenêtres ouvertes. D'abord, la fracturation hydraulique – la seule technique d'extraction possible, excessivement gourmande en eau et comportant des risques de pollution chimique n'est pas clairement définie. Ensuite, la loi crée une « Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux » en vue « d'évaluer les risques environnementaux ». Sa composition a fait l'objet d'un décret publié au Journal Officiel le 22 mars 2012, mais la commission n'a toujours pas été installée. Enfin, la loi autorise la « mise en œuvre d'expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public ».
C'est sur ces bases légales que trois permis d'exploration de gaz de schiste – les plus médiatisés – ont été abrogés en octobre 2011 : ceux de Nant et Villeneuve-de-Berg (détenus par l'entreprise texane Schuepbach) et celui de Montélimar (Total). Les autres – plus d'une soixantaine – sont pour l'instant gelés. Pour prospecter, les industriels doivent remettre à l'administration des rapports « précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre [des] activités de recherches ». De Château-Thierry à Foix, en passant par Alès, au moins une dizaine d'autres permis concernant principalement les gaz de schiste auraient ainsi pu être annulés. En refusant de les abroger, l'ancien gouvernement UMP a-t-il voulu, à sa manière, ne pas clore le débat ? Une continuité dans laquelle semblent s'inscrire les ténors socialistes du gouvernement.
Des camions sismiques en Ardèche
Sur le terrain, une multitude de compagnies pétrolières continuent de s'activer, et de saisir les opportunités laissées ouvertes par la loi. Début septembre, la société Mouvoil SA, détentrice du permis « Bassin d'Alès », couvrant une partie de l'Ardèche et du Gard, a ainsi adressé une demande aux préfectures pour faire circuler des camions sismiques. « Ce permis vise en particulier de forer à 1 400 m de profondeur. Il prévoit également l'utilisation d'une technique de fracturation, ce qui paraît extrêmement risqué dans cette zone dont le sous-sol karstique comporte de nombreuses failles dans lesquelles l'eau circule », alerte le collectif ardéchois « Stop aux gaz de schiste ». Précisons que Mouvoil SA est une société basée en Suisse, dans le canton de Zoug, l'un des paradis fiscaux les plus prisés. Elle a été fondée en juin 2008 par d'anciens cadres dirigeants (géologues et financiers) de Total et d'Elf, dont un certain Jack Sigolet, bien connu de ceux qui se sont intéressés de près à l'affaire Elf.
« Jack Sigolet, spécialiste des « préfinancements pétroliers » (avance de fonds aux Etats producteurs de pétrole, contre gage de barils de brut), était aussi dans les années 1990 président de la FIBA-Banque française intercontinentale, l'une des banques d'Elf-Aquitaine, gérée avec le clan du dictateur gabonais Omar Bongo. Devenu consultant, il a conseillé des responsables du pétrole angolais - via notamment sa société Crossoil Trading -, ce qui lui a valu dès 2008 l'attention du juge d'instruction genevois Yves Aeschlimann dans les nombreux développements de l'affaire dite « Angolagate », rappelle le journaliste suisse Gilles Labarthe. Dans ces conditions, autoriser d'obscures compagnies pétrolières, bien abritées dans des paradis fiscaux, à prospecter est-il vraiment raisonnable ?
Offensive médiatique en faveur des gaz de schiste
Qu'importe ! « Profitons de la richesse du sol français en gaz de schiste ! », lance Claude Perdriel, dans une tribune publiée par Challenges du 12 juillet, magazine dont il est le propriétaire [1]. Partant du principe que leur extraction profitera à tout le monde – plus d'emplois, gaz moins cher, indépendance énergétique... Bref, rien à voir avec l'extraction pétrolière, c'est promis... –, Claude Perdriel invite à « y réfléchir rapidement avant de prendre une décision qui engage notre liberté ». Rien que ça.
« N'enterrons pas le débat sur les gaz de schiste », renchérit un éditorial non signé du Monde, le 26 juillet. « Faut-il vraiment, a priori, renoncer à cette ressource ? (...) Comment savoir, inventer, progresser si l'exploration même est interdite ? Les arguments des scientifiques sont sérieux, ceux des pétroliers aussi », interroge le quotidien, qui au passage place sur le même plan argument scientifique et argument de businessman. L'édito s'accompagne d'un reportage favorable à l'extraction des gaz de schiste. Un reportage qui fait suite à un voyage de presse au Texas, à Fort Worth, la ville aux 2 000 puits. Un voyage organisé par... Total, les 17 et 18 juillet. Trois journalistes, du Monde, du Point et de L'Usine Nouvelle, plus un photographe américain, sont partis, aux frais de la compagnie, visiter les installations de son partenaire américain Chesapeake. Une visite sélective : ni les bassins de décantation, ni le ballet des camions ne sont décrits. Quant à aller à la rencontre des populations qui dénoncent les conséquences environnementales de l'extraction des gaz de schiste...
Début juillet, c'est l'inévitable Claude Allègre qui lançait dans Le Point son cri du cœur : « Monsieur Hollande, n'ayez pas peur des gaz de schiste ! » Selon le géochimiste, « la solution, la seule, l'unique» pour retrouver de la croissance « c'est l'innovation technologique, avec comme condition première l'énergie à bon marché ». (...) « L'attitude responsable, c'est donc à la fois d'exploiter une richesse utile et de protéger l'environnement », juge-t-il. Depuis la fin de l'été, et à l'approche de la conférence environnementale, « experts » et représentants de l'industrie pétrolière se succèdent sur les ondes et les plateaux pour promouvoir cette « attitude responsable ».
Vers une guerre de l'information
Cette offensive médiatique fait étrangement écho aux préoccupations de l'industrie pétrolière et gazière. « Fermer la porte pour toujours à l'exploitation de cette ressource serait une erreur majeure», regrettait Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, en avril 2011. En janvier 2012, le PDG de Total, Christophe de Margerie annonce que le débat « va nécessairement évoluer ». Au même moment, un colloque est organisé à Paris sous le « haut patronage » de François Fillon et d'Éric Besson, alors respectivement Premier ministre et ministre de l'Industrie, de l'Énergie et de l'Économie. Parmi les table rondes : « L'interdiction française, comment en sortir ? », où seuls un intervenant de la Direction générale de l'énergie et du climat (ministère de l'Écologie) et des représentants des multinationales pétrolières et gazières prendront la parole.
Sans oublier l'affaire du rapport de l'Association de l'École de guerre économique (AEGE). En juillet 2011, ce « réseau d'experts en intelligence économique » publie un rapport intitulé « L'intérêt du gaz de schiste pour la France ». Le texte est initialement présenté comme un « rapport de mission [confidentiel destiné à Total] pour une action de contre-information afin de faire basculer l'opinion française au sujet des gaz de schiste et de leur exploitation ». Contre-information, le mot est lâché. Le rapport propose des « argumentations et éléments de langage » et identifie quatre « cibles stratégiques » : les politiques, les médias, les scientifiques, les populations. Il s'agit par exemple de « faire la pédagogie de la réalité de l'exploitation des gaz de schiste auprès des populations qui n'en ont eu, jusqu'à présent, qu'une présentation partiale ».
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