Vous avez aimé Acta, ce traité anticontrefaçon signé en secret par 22 Etats européens avant d'être finalement rebuté par le Parlement européen ? Vous adorerez le Traité de diffusion (« Broadcasting Treaty ») actuellement préparé en petit comité par une institution spécialisée des Nations unies, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).
Il ne s'agit plus seulement de renforcer les sanctions contre les infractions au droit d'auteur ; il s'agit de privatiser potentiellement toutes les productions cinématographiques et musicales.
Oubliez le domaine public et les licences libres. Si l'OMPI parvient à imposer son projet, on entrera dans un monde intégralement marchand, où chaque film, chaque morceau et, peut-être à terme, chaque livre sera paré d'un beau « © ». L'utopie cyberpunk annoncée par le blogueur Calimaq est pour bientôt.
Le droit d'auteur, c'est simple comme un clic
Le mois dernier, l'OMPI organisait une session sur les droits connexes des diffuseurs. Classé sous le nom de codeSCCR/24/5, le projet de traité sur la protection des organismes de radiodiffusion (voir PDF) vise à établir un « droit de protection » des émissions radiodiffusées d'une durée minimale de vingt ans. Les modalités de ce texte assez complexe sont explicitées par un document de travail daté du 23 juillet dernier. Voir le document (Fichier PDF)
Une juriste américaine a récemment fait paraître une analyse approfondie de ce traité et de ses éventuelles implications. Concrètement, toute production qui ferait l'objet d'une diffusion serait désormais protégée. Peu importe que son (ses) auteur(s) ai(en)t préféré la placer sous licence libre ou qu'elle ait été placée dans le domaine public.
En d'autres termes, il suffit simplement que quelqu'un appuie sur le bouton « play » pour toucher des redevances pendant plusieurs décennies. Les droits du détenteur d'un processus technique priment sur ceux des créateurs. Pour garantir l'exercice de cette privatisation indéfinie, le traité a commencé à définir des sanctions et des mesures d'application. L'article 9 souligne ainsi que :
« Les parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en ?uvre par les organismes de radiodiffusion dans le cadre de l'exercice des droits qui leur sont conférés en vertu du présent traité et qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs émissions, d'actes qui ne sont pas autorisés par les organismes de radiodiffusion concernés ou permis par la loi. »
L'OMPI souhaite que ces dispositions soient signées par l'ensemble des parties contractantes (i.e. les Etats) d'ici à début 2013. L'application devrait suivre rapidement. Dans moins d'un an, l'empire du copyright serait universel.
Un acte anti-économique ?
Le traité répond-il à une réelle nécessité économique ? Rien n'est moins sûr. Comme le remarque Cory Doctorow, les gains sont très hypothétiques. Seule une petite frange de la population aura l'envie et les moyens de payer une redevance aux diffuseurs pour chaque contenu culturel utilisé. Cela ne peut que bénéficier au piratage.
Par contre, des sites respectant les droits d'auteurs, comme Wikipédia, ou s'inscrivant délibérément dans une sorte de zone grise, comme YouTube, seront très lourdement pénalisés. En termes strictement économiques, les pertes risquent d'être bien supérieures aux gains, explique Cory Doctorow :
« Aucune étude scientifique n'a explicitement démontré que créer un nouveau niveau de protection intellectuelle ajoutera un centime au PIB mondial. En effet, étant donné que des sites comme Vimeo et YouTube deviendraient légalement impossibles, cela diminuerait bien plutôt les richesses nationales. Qui plus est, on risque de brimer la créativité de nombre d'auteurs en transformant les diffuseurs en rentiers désireux de percevoir un pourcentage sur des vidéos qu'ils n'ont pas créés. »
Faut-il prendre la menace au sérieux ?
L'OMPI avait déjà élaboré un projet assez similaire en 2006. Il l'avait finalement remisé sous la pression de l'opinion publique. Le même schéma risque fortement de se répéter. D'autant que, par rapport à 2006, les licences libres disposent désormais de défenseurs de poids.
En son état actuel, le traité menace directement des projets bénévoles comme Wikipédia ou des entreprises commeGoogle. Or, ceux-ci ont déjà fait la preuve de leur réactivité. Organisée en début d'année, la mobilisation contre les lois américaines Sopa et Pipa avait été payante : elles sont actuellement ajournées ad vitam æternam.
Si l'OMPI persiste dans ses intentions, elle va sans doute aller au devant d'une opposition semblable. L'image des Nations unies n'en sortirait pas grandie.
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