Financées par les pays du Golfe, ces livraisons clandestines via la Turquie sont contrôlées par l'agence américaine.
Sans armes capables de détruire les chars syriens, point de salut pour l'opposition àBachar el-Assad. Depuis des mois, Nasser le répétait à ses amis occidentaux ou arabes. Mi-mai, cet opposant en exil affichait donc le sourire lorsqu'une quarantaine de dirigeants des conseils militaires de la révolution se sont discrètement rendus en Turquie pour recevoir un précieux arsenal. «Nous avons surtout récupéré des roquettes RPG 9 puisées sur les stocks de l'armée saoudienne», confiait-il lors d'un récent passage à Paris. «Elles ont été acheminées par avion, jusqu'à l'aéroport d'Adana, où la sécurité turque a surveillé les déchargements avant de savoir à qui ces roquettes allaient être destinées.» Pour rassurer ses hôtes, Nasser garantit que leur utilisation allait être supervisée par «des leaders traditionnels proches des insurgés, histoire d'éviter les dérives mafieuses».
Les roquettes ont été convoyées à Duma et Harasta, dans la banlieue de Damas, al-Zabadany sur la route du Liban, Deraa au sud, et dans la région d'Idlib, frontalière de la Turquie. Nasser n'en parle pas, mais, en coulisses, les agents de la CIA veillent à ce que ces nouvelles armes qui parviennent en plus grand nombre aux activistes ne tombent entre les mains de djihadistes, infiltrés en Syrie. Le New York Times va même jusqu'à affirmer que les localisations des dépôts et leurs destinataires sont déterminés en coordination avec les espions américains. Pour les Occidentaux, qui ont beaucoup hésité avant d'accepter l'armement des insurgés, l'organisation de ces filières est une priorité: «Nous discutons même avec les Turcs de cibles à frapper, poursuit Nasser. Et nous comptons maintenant hors de Syrie des représentants des conseils militaires qui ont chacun un relais dans une ville de l'intérieur.»
Ses rivaux islamistes liés aux Frères musulmans disposent eux aussi de leurs propres canaux d'approvisionnements. Et eux militent pour que ces armes aillent à leurs seuls partisans, afin d'être les grands vainqueurs de l'après-el-Assad. Pour les monarchies du Golfe, principaux fournisseurs en armes des rebelles, ces livraisons doivent rééquilibrer le rapport de forces sur le terrain, pour forcer el-Assad à accepter un compromis sur le modèle yéménite. «Les diplomates saoudiens nous répètent que tant que Bachar gardera une nette supériorité militaire sur ses ennemis, il n'aura aucun intérêt à négocier son départ», confie un diplomate français, qui rappelle que l'ex-président «Saleh, au Yémen, a discuté de sa sortie uniquement parce que l'opposition et ses partisans faisaient à peu près jeu égal».
Accélérer les défections
Ces livraisons d'armes doivent également accélérer les défections parmi les fidèles à el-Assad. «De nombreux militaires hésitent, mais s'ils voient qu'avec des missiles antitanks, nous infligeons de lourdes pertes aux pro-Bachar, ils seront alors plus nombreux à nous rejoindre», jure Mohannad, un membre de l'Armée syrienne libre, réfugié en Jordanie. Les premiers effets de ces approvisionnements se font sentir. Une douzaine de généraux ont rallié la Turquie, tandis que huit pilotes auraient fui en Jordanie. De leur côté, les activistes conduisent des opérations plus audacieuses, contre des hélicoptères notamment. «Avec ces armes, espère Kamal, nous pourrons également libérer des régions comme Idlib». Mais face à un pouvoir prêt à tout pour survivre, l'opposant se veut prudent. «L'utilisation d'armes plus sophistiquées entraînera une riposte encore plus dure. Nous aurons des pertes, et en face, nous allons détruire notre armée. Or les militaires sont nos frères, pas nos ennemis. Ces armes, dit-il, doivent surtout faire peur à el-Assad». Leur mise à disposition nourrit la lutte d'influence entre les parrains des insurgés.
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